« Peprin » est le rêve d’un étranger, un européen, petit bourgeois, lettré, accueilli dans un village maltais, Safi, à Pâques.
A Malte, on célèbre la mort et la résurrection du Christ, le passage de l’ombre à la lumière. A cette période de l’année, dans les champs, les coquelicots sont en fleur. Une nuit, le hurlement des chiens mêlé au bruit des hélicoptères tire l’étranger de son sommeil. Peut-être est-ce un rêve, hanté par le souvenir des images et des voix de L’homme à la peau de serpent, un film du réalisateur Sidney Lumet, disparu le 9 avril 2011, dont les journaux ont parlé dans la rubrique nécrologique. Adapté d’une pièce de Tennessee Williams, ce drame qui se déroule dans une petite ville du Sud des États-Unis, s’achève avec la mort de Val, l’étranger, guitariste et vagabond, dévoré par les chiens errants. Mais le serpent renvoie peut-être aussi à Paul de Tarse, le Saint Patron de Safi et de Malte, étranger lui-aussi, qui aurait fait naufrage sur l’archipel avant de convertir les maltais au christianisme.
Au lever du jour, les informations locales maltaises annoncent qu’un réfugié échappé d’un camp situé à proximité de Safi a été retrouvé mort dans des conditions non élucidées. Il s’appellait Ifeanyi Nwokoye, nigérien de 29 ans. Cette poésie lui est dédiée.
Peprin
En mémoire de Sidney Lumet et de Ifeanyi Nwokoye
Nuit
voûte affleurée débris d’étoiles
éveil étouffé étouffant de la meute
Nuit
croûte voilée couche de plis
j’attends
J’attends jaillir les aboiements de sève rouge
œil noir coquelicot
surgi des forges de Vulcain
il me souvient
Ma chair souvient
Méditerranée
mémoire bègue bégayant les images
image piquée du camp
fils cruciformes
mer découpée
chiens dressés
chasse à l’homme
et ma peau
peau de serpent aussi
se souvient du soleil
Pleins feux complices
encre jaunie des journaux
lettres menteuses
et l’haleine
l’haleine des hélicoptères
tourbillonnant sur les maisons
Gouffre nuit
Avant que Morphée à nouveau m’engourdisse
avale ce rêve enseveli
et retourne au sable buvard de l’enfance
moi l’étranger l’indéfini
le transi au nid douillet
de l’avers de la houle
j’entends
Anna
Anna Magnani
ton cri creuse la rive de mes tempes
18 avril printemps Pascal
passé le chant du coq
au vert paradis d’écarlate percé
gît contre ciel
la face chavirée
du fugitif
Safi, Malte – Paris, avril – novembre 2011
photos:
1, 7: Grégory Fontana
2, 4, 9, 10, 13, 14: Philippe Parizot
3, 5, 8, 11, 12: Elizabeth Grech
6: à partir du premier plan du film de
Jean-Daniel Pollet, Méditerranée
Philippe Parizot, toulonnais, habite aujourd’hui à Paris où il travaille au ministère de la culture et de la communication.